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LINDEPENDANT.SN-Le bâtonnier Mamadou Seck qui s’est prononcé devant le président Bassirou Diomaye Faye à l’occasion de la rentrée solennelle des Cours et Tribunaux a rappelé les problèmes auxquels les avocats sont confrontés dans l’exercice de leur travail. Le bâtonnier de l’ordre des avocats qui s’est longuement apesanti sur le thème « Droit de grève et préservation de l’ordre public », a précisé qu’il ne peut en aucun cas ni porter atteinte à la liberté de travail ni mettre l’entreprise en péril. Il a également donné son avis sur la crédibilité de la justice au Sénégal avant d’interpeller le Chef de l’Etat.
Le thème « Droit de grève et préservation de l’ordre public », a été choisi lors de la rentrée solennelle des Cours et Tribunaux. Et de l’avis du bâtonnier de l’ordre des avocats du Sénégal,
tel que posé, le thème « fait automatiquement penser dans l’absolu à l’éternel problème de la conciliation du droit de l’individu avec le droit de la collectivité, de la conciliation de l’ordre avec la liberté ». La dialectique de l’ordre public et des libertés, traversant la pensée juridique depuis le 18ème siècle, est une problématique délicate car inhérente à l’avènement des sociétés modernes. La multiplication des dispositions législatives visant à répondre à ces évolutions de fait suscite des interrogations sur la protection des droits et libertés.
Le droit de grève comme droit fondamental n’a pas échappé au processus qui consiste à encadrer, par une règle de droit, la portée ou l’exercice d’un droit ou d’une liberté garantis dans un but prévu par constituant », a expliqué Me Mamadou Seck. Sous ce rapport, le bâtonnier de l’ordre des avocats a mis l’accent sur le caractère équivoque de la limitation du droit de grève par l’ordre public. « D’abord l’Etat de droit ne prône pas l’absolutisme dans la jouissance des droits. Ceux-ci peuvent et doivent s’exercer dans les limites légales ou règlementaires. Les droits fondamentaux (dont le droit de grève) trouvent leur ancrage dans la constitution qui confie au législateur de les définir, de délimiter le cadre de leur exercice et au juge constitutionnel, gardien des promesses du constituant, la mission de préserver l’équilibre dans leurs rapports.C’est ce qu’annonce l’article 25 alinéa 4 de la Constitution qui dispose :« Le droit de grève est reconnu. Il s’exerce dans le cadre des lois qui le régissent. Il ne peut en aucun cas ni porter atteinte à la liberté de travail ni mettre l’entreprise en péril » », a-t-il souligné. Dans ce sens, il fera constater que la prééminence du législateur dans la limitation du droit de grève résulte donc d’une habilitation du constituant.
« Pour ce dernier, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour conséquence d’exclure du droit de grève les limitations qui doivent être apportées à ce droit, comme à tout autre, en vue d’en éviter un usage abusif ou bien contraire aux nécessités de l’ordre public ou aux besoins de services essentiels du pays dont la continuité doit être assurée dans la mesure où ils concrétisent des droits et libertés constitutionnellement garanties. (Arrêt Dehaene CE 7 juillet 1950). Il est du ressort du législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d’adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d’apprécier l’opportunité de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autre dispositions, dès lors que, dans l’exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales les promesses du constituant », a-t-il souligné.
Dès lors, renseigne Me Seck, « la constitution porte elle-même les germes d’un encadrement du droit de grève sans qu’il soit nécessaire de l’apprécier dans le cadre d’un rapport de confrontation avec la notion d’ordre public ». Me Mamadou Seck qui a poursuivi son argumentaire soutiendra que le droit de grève est aujourd’hui l’enjeu d’un rapport de force. « C’est devenu davantage un instrument dans la négociation sociale et moins un moyen d’action et d’expression des travailleurs », a-t-il fait savoir.
Après son investiture, le Président Bassirou Diomaye Faye a organisé une rencontre avec plusieurs acteurs de la société pour réfléchir sur l’état de la justice au Sénégal. Une démarche magnifiée par Me Mamadou Seck: « C’est certainement la preuve que la question d’une bonne administration de la justice, pour qu’elle soit de qualité et réponde aux aspirations d’un Etat de droit, constitue une préoccupation majeure de votre gouvernance », a-t-il dit au Chef de l’Etat. « La démarche m’a paru procéder d’une volonté politique de mieux faire en matière de justice au Sénégal pour assurer l’Etat de droit, la démocratie et la paix sociale », a-t-il ajouté.
A l’endroit du Chef de l’Etat, il dira: « je fais partie de ceux qui pensent que la justice est à la fois une vertu et une administration et qu’elle ne peut être crédible sans une politique cohérente de bonnes pratiques fondées sur ses principes et ses règles. La crédibiliser c’est, d’abord, une volonté politique qui consacrera une conscience effective des gouvernants à refuser toute immixtion dans le rendu de la justice et à créer les conditions adéquates à l’égalité de tous les sénégalais devant la loi ». Poursuivant, il fera savoir: « ne faut pas s’y méprendre, la justice est dans l’Etat mais subit l’Etat quand ce dernier n’a pas comme crédo de tout faire pour participer à asseoir et préserver son indépendance et créer les conditions matérielles de son exercice.
Par leurs interventions, les participants aux Assises ont tous déploré que dans diverses situations, la justice a été ébranlée par l’Etat et le pouvoir politique. Ils ont mis en exergue une soif inextinguible de justice ». « La perception de la réalité étant aussi importante, voire parfois plus importante, que la réalité elle-même, le chantier de la justice est à l’image de la mission de justice, sa perfection est souhaitable et sa prise en charge, nécessaire », a-t-il ajouté.
Monsieur le Président, dira le bâtonnier, « en vous élisant, les sénégalais attendent de vous que le pouvoir politique soit le vecteur et le garant d’une justice indépendante, rendue exclusivement au nom du peuple et dans le respect des lois qu’ils ont choisis.
Crédibiliser la justice, c’est, ensuite, replacer ses acteurs (avocats, magistrats…) dans leurs véritables rôles avec comme base la conscience effective de la vertu de justice, de l’éthique professionnelle et du haut niveau d’excellence morale ». Pour lui, ces principes devraient guider tous critères d’appréciation, d’évaluation ou de sanction de l’œuvre individuelle de justice à l’aune de la mission collective de justice.
« Il ressort des serments prêtés par ces acteurs de puissantes sujétions d’indépendance, de dignité, de loyauté et d’intégrité qui renvoient à une dimension personnelle pour exercer leurs missions », a-t-il indiqué.
« Cette dimension personnelle doit impérativement l’obliger à ne jamais sacrifier ce qui fonde et justifie son action, la vertu de justice », a-t-il dit avant d’embrayer: « je répète encore une fois ici qu’il doit être rappelé aux acteurs de la justice que les plans de carrières, les relations politiques, les relations sociales, les rapports douteux entre eux, l’incompétence ou l’absence de conscience professionnelle, la corruption, ne doivent pas résister, un instant, au respect des exigences du serment prêté, pour une bonne qualité de la justice, la protection des intérêts de la société et celle de la démocratie.
Les acteurs doivent, aussi, rompre avec une sorte de culture collective tendant à observer une attitude plutôt pudique à l’égard des comportements individuels inadaptés, déviants ou non conformes aux règles car l’institution judiciaire pâtit dans son ensemble de la mauvaise image que certains acteurs donnent de la justice ». « Il est impérieux de rendre au serment le respect et la sanction qui s’attachent à sa dimension morale et légale ainsi qu’à la confiance qu’il suggère auprès du citoyen et du justiciable dont les écarts de certains conduisent à douter de l’intégrité et de la dignité de tous », a-t-il ajouté tout en plaidant pour la mise en place d’un système de contrôle et de sanctions des divers manquements perpétrés à tous les niveaux doit être de mise pour enrayer un sentiment d’impunité des acteurs de la justice. « Le sentiment d’injustice naît du constat de l’impunité dont jouissent certains et qui peut être du à la pudeur, à l’entre-soi ou au corporatisme par lesquels nos corps respectifs « oublient » de sanctionner leurs membres, parfois à juste titre mais aussi, malheureusement et souvent, envers et contre les règles, les principes, les valeurs.
Il est nécessaire, aujourd’hui, de mettre en place au sein des juridictions un espace cathartique pour anticiper et prendre en charge les problèmes et, pour certains, mettre un terme à leur récurrence. Les acteurs doivent impérativement avoir un cadre pour compléter leurs missions habituelles dans tous les domaines, sans écarter les sujets les plus sensibles, par une interaction constructive, permettant ainsi de mettre en œuvre les mesures à prendre à la suite de ces Assises sur la justice », a soutenu Me Mamadou Seck.
Ce dernier de rassurer le Président de la République lui rappellant que le Barreau du Sénégal, qu’il représente, est une institution républicaine « qui entend respecter et faire respecter les principes de l’Etat de droit dans l’exercice de sa mission de service public et d’acteur majeur de la justice dans notre pays ».
« Nous nous permettons toutefois de rappeler que le Barreau est une institution du service public de la justice, une institution qui n’est pas toujours mise dans les conditions d’exercer pleinement sa mission au service de la société et d’une justice de qualité », a-t-il souligné.
Toujours dans son allocution, le bâtonnier de l’ordre des avocats a exposé au Président de la République des problèmes auxquels leur corps est confronté. A l’en croire, la dotation annuelle à l’assistance judiciaire d’un montant de 800.000.000 FCFA n’a pas été payée depuis plusieurs années, laissant subsister un encours de plus de trois milliards de francs. Dans cette même ordre d’idées, il ne manque pas d’egrainer un chapelet de doléances : « nous sommes confrontés, aussi, aux exigences des nouvelles règles communautaires qui nous imposent la mise en place d’une Ecole d’Avocats pour la préparation à l’examen du CAPA, la formation initiale et la formation continue. Nous avons relevé et salué tous les efforts consentis par l’Etat pour mettre à notre disposition un terrain d’un hectare à Diamniadio et une aide financière de cinq cent millions de francs CFA qui représente le quart du budget de financement des constructions. Par le mécanisme de la dotation à l’assistance juridictionnelle, en tenant compte des études qui ont été faites pour évaluer les besoins, le Barreau pourra, non seulement augmenter durablement ses effectifs pour permettre un maillage national conforme à la carte judiciaire », a-t-il énuméré. Et de poursuivre: « croyez-bien que c’est un véritable challenge pour notre Barreau de trouver les moyens financiers complémentaires, alors que notre préoccupation est, à la fois, de mettre à la disposition des justiciables, des avocats en mesure de les défendre et, surtout, d’augmenter notre contribution à l’emploi des jeunes.
Car l’Ecole a en perspective, pour ses débuts, le recrutement et la formation d’au moins 100 jeunes pour la préparation à l’examen du Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat.
Sans rompre la règle de ne pas poser nos doléances en public ni encore moins exiger l’accès au droit de grève, nous réitérons notre conviction que le mécanisme de l’assistance juridictionnelle est un levier efficace pour concilier l’accès égal à la justice pour tous les citoyens sénégalais et la présence de l’avocat partout où la cartographie judiciaire l’exige, par une augmentation de la capacité d’absorption et de formation de plus de stagiaires ».
Mariama Kobar Saleh