LINDEPENDANT.SN-L’heure du délibéré national a sonné. Le chef de l’État se retrouve ainsi devant la porte du voyage sans retour. Il va falloir se jeter à l’eau car le ni oui ni non n’est plus tenable. On est loin certes de la charge mémorielle et émotionnelle de la porte du voyage sans retour à l’île de Gorée mais la position du président Macky Sall m’inspire cette illustration.
Va-t-il prendre le large, vers de nouveaux horizons ou va-t-il revenir sur ses pas avec un océan de conséquences potentiellement dramatiques ? Il ne nous appartient pas de dire ici s’il a le droit ou pas de se présenter, même si cette question a fait de « tous les sénégalais des constitutionnalistes ». Les éminents exégètes de la loi fondamentale ont exposé leurs interprétations différentes du fameux article 27. L’accord N°5 de la commission politique du dialogue nationale stipule que « les pôles ainsi que la société civile, après avoir rappelé leurs positions sur la question, en appellent au respect de la constitution, des lois et règlements ».
Force est de constater qu’on n’a pas avancé sur la candidature du président sortant avec le dialogue national. Cependant, la question ne sera point une quadrature du cercle pour les sept sages. À l’aréopage que représente le conseil constitutionnel de nous éclairer et de nous apaiser en expliquant avec minutie dans le détail sa décision. Sans vouloir tirer des plans sur la comète, tout indique que sauf tremblement de terre le président Macky Sall pourrait présenter sa candidature à la présidentielle de 2024. C’est-à-dire revenir sur ses pas et sur sa parole donnée urbi et orbi. Et s’il se présente pour la 3ème fois, il va VRAIMENT falloir qu’il soit convaincant dans ses arguments au-delà du juridisme. Il devra donner les raisons enfouies en lui, expliquer le soubassement de sa décision et « l’indispensabilité » de sa personne pour assurer la continuité de la gouvernance du Sénégal. Exposer ces nouvelles circonstances supposées qui l’auraient amené à changer d’avis après s’être engagé à se limiter à deux mandats en 2012 puis en 2019. Dans tous les cas, les secousses seront inévitables.
Vu le tourbillon médiatico-politique que la question a soulevé, on peut quand même se poser plusieurs questions. Pourquoi le président Sall a laissé planer le doute voire le mystère aussi longtemps ? Pourquoi a-t-il opté pour cette démarche directive et à la fois infantilisante ? Quelles que soient les raisons, justifiées ou pas, la façon dont le président Sall dans ses habits de grand timonier a tenu en haleine tout le Sénégal est invraisemblable. Tel est son bon vouloir alors que notre pays n’est pourtant pas une monarchie de droit divin. Mais au fond, ce n’est pas si étonnant car en observant le chef de l’État s’adresser à l’assistance ce samedi 24 juin 2023 à l’occasion de la réception des rapports du dialogue national, on se rend compte à quel point cet homme est énigmatique. Troublant.
Attendrissant un moment, bloc de granite dans la foulée. L’homme qui a pris l’escalator de la république pour en atteindre la cime est capable d’être abrupt et affable en une fraction de seconde. Déroutant. Même si on le devine, les ors de la république cachent d’autres réalités beaucoup plus éprouvantes et complexes. Cela équivaut à de la torture pour un homme d’État de savoir beaucoup de choses, sans pouvoir en dire autant publiquement. Avoir la réalité en face dans le poste de commandement, en sortir avec l’obligation de garder le silence, agir en coulisse quelle que soit la violence de la tempête.
Néanmoins, l’hyperprésidentialisme que confère la constitution sénégalaise n’est pas une bonne chose pour un homme avec cette double personnalité. S’y ajoute, la porosité légendaire des frontières entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire. Ces cas de figure existent certes depuis tout le temps, mais ils se sont beaucoup accentués avec l’avènement des libéraux au pouvoir. Avec les libéraux, la délégation de pouvoir a été réduite à sa plus simple expression.
La meilleure réponse à ces préoccupations politiques majeures réside dans les conclusions des assises nationales que tout le monde magnifie sans promouvoir réellement son application stricto sensu.
Dialogue national ou arrangement politique ?
Ce qui s’est passé durant ces deux semaines ressemble plus à un arrangement politique qu’un dialogue national. C’est un continuum du dialogue lancé en 2019, sous la férule de Famara Ibrahima Sagna stoppé par la crise sanitaire. Des propositions significatives ont été faites notamment par les commissions économie, paix et sécurité etc. Tout de même, plusieurs accords sont à saluer dans les négociations politiques auxquelles nous venons d’assister comme l’accord sur le parrainage citoyen avec un pourcentage de 0,6 à 0, 8 du fichier général des électeurs. Ne feignons pas pour autant le désintéressement d’une frange considérable de l’opposition qui tient son dialogue parallèlement via le F24. Ne feignons pas non plus de ne pas prendre en considération la situation politico-judiciaire de l’opposant Ousmane Sonko.
Cette opposition dite radicale a décliné la main tendue du président Macky Sall. C’est vrai. Mais elle symbolise une grosse partie du pays. Les fêlures sont tellement profondes que panser les plaies en deux semaines est impossible voire illusoire. La frustration de nos concitoyens est tellement sérieuse que le dialogue doit être transformé en Pencoo national. Les débats doivent être prolongés, élargis à toutes les couches de la population, tout âge confondu dans les 46 départements sous la direction des autorités administratives. Cette démarche inclusive permettra de réellement prendre le pouls de la société car les évènements de Mars 2021 et Juin 2023 démontrent à suffisance que l’Etat ne sait pas tout de son peuple.
Après ces dernières années de tumulte, de bavure et de violence, ou notre pays a inquiété le monde, il appartient au président Macky Sall, cerbère de la constitution et de la paix civile, de sauvegarder la stabilité du pays, préserver l’exception sénégalaise en Afrique qui fait le charme de Sunugal.
- le président, que vous leviez l’ancre ou pas, nous sommes tout ouïe.
Nous prions pour que l’après Aïd soit aussi Moubarak que l’Aïd el-Kébir.
* Journaliste, citoyen sénégalais