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LINDEPENDANT.SN-Quasiment absent de la sphère médiatique depuis son ralliement à Macky Sall, en novembre 2020, Idrissa Seck a retrouvé les feux des projecteurs pour se lancer une nouvelle fois dans la course à l’élection présidentielle.

Si l’ancien Premier ministre peut, à 63 ans, se targuer d’une carrière politique fournie, longue de plusieurs décennies déjà, la magistrature suprême lui a toujours échappé. La faute à une succession de mauvais choix et de stratégies hasardeuses, glissent en coulisses certains de ses anciens compagnons de route. Candidat à l’élection de février prochain, Idrissa Seck renfile donc un boubou d’opposant qui sent un peu la naphtaline, après avoir passé près de trois ans aux côtés de Macky Sall.

Rien n’indique que cette-fois-là serait la bonne, reconnaît-il, même si « les circonstances » lui paraissent favorables. Le pari est risqué : à force de jouer au ping-pong entre le pouvoir et l’opposition, son capital sympathie auprès des Sénégalais s’est érodé. Il revendique pourtant le statut de chef de file de l’opposition, lui qui vient à peine de dire adieu aux confortables émoluments du Conseil économique social et environnemental (Cese) dont il avait pris la tête. Il semble néanmoins peu probable qu’il bénéficie du soutien d’une large partie de l’opposition comme cela avait été le cas lors de la présidentielle de 2019, où il avait accumulé plus de 20 % des suffrages au premier tour.

Il finit d’ailleurs par s’agacer à l’évocation de ses va-et-vient politiques, et devient plus disert lorsqu’il s’agit d’évoquer son compagnonnage avec Abdoulaye Wade, père d’emprunt et « géant » politique. Jouant la carte de l’expérience, « Idy » vise une victoire « dès le premier tour » et espère rallier à sa cause une partie de ses anciens compagnons rewmistes, voire de ses ex-camarades du Parti démocratique sénégalais (PDS).

Jeune Afrique : Pensez-vous que le climat politique soit apaisé maintenant que Macky Sall a annoncé qu’il ne briguerait pas de troisième mandat ?

Idrissa Seck : Je le crois. Sa candidature aurait été la principale source de troubles. Il nous reste désormais à poursuivre la réconciliation nationale et à organiser des élections libres et transparentes.

Pensez-vous qu’il a renoncé face à la pression populaire et internationale ?

Je le crois quand il dit qu’il respecte la parole donnée. Je ne pense pas qu’il ait voulu se représenter.

Vous avez annoncé votre propre candidature en avril dernier. Diriez-vous aujourd’hui que vous auriez dû rester dans la coalition de Macky Sall plus longtemps ?

Pas du tout. J’ai répondu à son invitation [à rejoindre la majorité] en 2020, en pleine épidémie de Covid-19. Nous avons affronté cette crise ensemble, mais je n’ai jamais caché que mon objectif était l’élection présidentielle. Je ne voulais pas profiter de la colère des populations pour des raisons politiciennes. Le travail que j’étais venu faire pour le soutenir est terminé. Je dois désormais reprendre mon travail d’opposant et solliciter les suffrages des Sénégalais.

Comment a réagi Macky Sall à l’annonce de votre départ ?

Il aurait souhaité que je reste, mais il me fallait au moins un an pour préparer la présidentielle.

Revendiquez-vous toujours le titre de chef de file de l’opposition, vous qui étiez arrivé deuxième à l’élection de 2019 ?

Je ne revendique rien du tout. Le fait que le deuxième à la présidentielle soit le chef de file de l’opposition a été acté par le dialogue national, à l’unanimité. Si l’Assemblée nationale entérine ces propositions, je serai le chef de file de l’opposition.

Même après trois ans passés au sein de la majorité ?

Cela ne pose aucun problème. Je n’ai jamais fait mystère de ma position d’opposant et personne n’en a jamais douté.

Les Sénégalais n’ont-ils pas sanctionné votre ralliement, lors des législatives et des locales à Thiès ?

C’est votre jugement. Je n’étais pas candidat, mon parti non plus.

Mais c’était votre fief et ce sont des hommes que vous aviez choisis qui étaient candidats…

Le choix des candidats présentés a été contesté au sein de mon parti. Les déçus ont réalisé des votes sanctions.

Que répondez-vous à ceux qui vous qualifient de girouette ?

Si c’était à refaire, je referais exactement la même chose. Mes actions ne sont dictées que par l’intérêt de mon pays, pas par ma carrière personnelle, dont je m’occupe par ailleurs.

Quel traitement doit-on réserver à Ousmane Sonko, dont la condamnation à deux ans de prison a fait basculer le pays dans une grave crise politique ?

Je souhaite une élection inclusive. Seuls les électeurs peuvent décider d’octroyer ou de refuser un mandat présidentiel. J’ai d’ailleurs une préférence pour le modèle américain, qui permet à tous d’être candidats, même en cas de condamnation. Malheureusement, ce n’est pas le cas de chez nous.

Les lois d’amnistie existent aussi…

Bien évidemment. S’il y a une loi d’amnistie, pourquoi ne pas y recourir ? Mais il faut respecter les décisions de justice avant tout.

C’est ce que vous avez dit à Ousmane Sonko lorsque vous l’avez rencontré en mars dernier ?

Absolument. Par chance, le pouvoir politique peut effacer ce que le pouvoir judiciaire établit. Mais le pouvoir politique n’a pas le droit de s’immiscer dans une procédure judiciaire en cours. J’ai moi-même connu la prison, mais j’ai finalement bénéficié d’un non-lieu. Un citoyen ne peut pas défier la justice ni refuser de s’y soumettre. Sinon il n’y a pas d’État, pas de société.

Certains, dont Ousmane Sonko, estiment que la justice n’est pas indépendante…

C’est leur jugement. Il y a peut-être des magistrats qui ne sont pas indépendants, d’autres qui le sont. Voilà.

Vous avez passé trois ans à la tête du Conseil économique social et environnemental. Quel bilan tirez-vous de cette expérience ?

Une très grande satisfaction. Le Cese est un Sénégal en miniature. Tous les thèmes abordés – inondations, émigration clandestine, gestion des ressources…– ont fait l’objet de recommandations pertinentes et fortes, soumises au président qui en a tenu compte. Le conseil apporte une contribution majeure au processus de décision.

Pourriez-vous citer quelques exemples de ces recommandations ?

La prise en charge des inondations, ou le choix de faire de l’emploi des jeunes une priorité des politique publiques.

Justement, la prise en charge des inondations est-elle efficace? À titre d’exemple, le lac Rose a été infecté par les eaux usées de la banlieue de Dakar…

C’est un sujet complexe qui comprend plusieurs volets, dont des travaux d’infrastructures extrêmement importants. Tous les aspects ont été pris en compte dans les recommandations et les solutions sont en cours.

Votre programme en 2019 incluait la suppression du Cese. Avez-vous désormais changé d’avis ?

Cette proposition était liée à un souci d’économie budgétaire. Ces missions peuvent être jumelées à celles du Haut conseil des collectivités territoriales [HCCT] pour en faire un centre unique. La fonction reste essentielle, mais on peut imaginer une architecture institutionnelle plus économe.

Quelles sont vos priorités pour le Sénégal ?

Nous devons doter la jeunesse des moyens de faire face à son destin en mettant l’accent sur l’alimentation, la santé, l’éducation et l’emploi. Dans un deuxième temps, protéger le Sénégal de l’instabilité sous-régionale et assurer sa stabilité. Les colères et les impatiences sont compréhensibles, mais la violence n’est pas le chemin.

Mais comment s’assurer qu’il y ait assez d’emplois pour les jeunes ?

Nous sommes dans un pays où tout est à faire. Nous ne produisons pas assez de maïs, d’arachide ou de lait. Les opportunités d’emploi sont là. Il faut les organiser et créer un environnement propice au développement de ces emplois et à l’investissement privé.

Quelles sont les perspectives de développement que l’exploitation des nouvelles ressources pétrolière et gazière offre au Sénégal ?

Ce n’est pas l’essentiel. Si ces ressources sont convenablement utilisées, cela peut diminuer les coûts de l’énergie et augmenter notre compétitivité. Mais cela ne doit pas détourner l’État de son objectif central : une production alimentaire suffisante.

Le pays ne risque-t-il pas de tomber dans le piège du tout[1]pétrole ?

Il ne faut pas attendre du pétrole et du gaz plus qu’ils ne peuvent apporter. Ils ne sont que transitoires parce qu’il faudra sortir des énergies fossiles. Les recettes issues de leur exploitation sont un coup de pouce pour atténuer la facture énergétique et faciliter la production.

Lors de la dernière réunion politique de votre parti, vous avez lancé l’opération « Gnibissi » pour ramener à la maison vos anciens camarades. Pourquoi ? 

Pour faire face à tous les défis qui nous attendent, personne n’est de trop. Je peux dîner avec Macky Sall et petit-déjeuner avec Ousmane Sonko. Naturellement, je commence par les compagnons que j’ai toujours eus. Ensuite je continue vers la grande famille libérale et au[1]delà, la grande famille du Sopi avec laquelle Abdoulaye Wade a été victorieux en 2000.

Pensez-vous également à vos anciens lieutenants qui pourraient être candidats, à savoir Déthié Fall, Abdourahmane Diouf ou Thierno Bocoum ?

Le fait qu’ils soient candidats n’est pas gênant. J’espère que je gagnerai au premier tour. Mais s’il y a un second tour, des alliances nouvelles se créeront.

Vous parlez de la réunification de la grande famille libérale.

Macky Sall a presque réussi…  Macky Sall a réussi mieux : la coalition Benno Bokk Yakaar, où tous les courants se sont retrouvés.

À l’exception du PDS…

C’est dommage qu’il n’ait pas rejoint l’alliance présidentielle. L’image actuelle du PDS est triste, il n’aurait jamais dû éclater. On n’aurait jamais dû me combattre, pas plus qu’on aurait dû écarter Macky Sall, Pape Diop, ou Aminata Tall. C’est nous qui avons œuvré à l’alternance en 2000. Ce n’est pas Karim Wade.

Êtes-vous toujours en contact avec Abdoulaye Wade ?

Non ! Mais c’est quelqu’un que nous aimons tous.

D’anciens responsables du parti disent qu’ils sont toujours membres du PDS dans leur cœur…

Oui, moi aussi ! Ça a été une aventure extraordinaire. Si vous l’aviez vécue, vous seriez dans le même état. J’ai connu Abdoulaye Wade quand j’avais 12 ou 13 ans, chez moi à Thiès, un an ou deux avant la naissance du PDS, qu’il a cocréé avec mon cousin germain, Alioune Badara Niang.

Ensuite, il m’a adopté comme son fils. J’avais 28 ans quand il m’a choisi comme directeur de campagne pour l’élection présidentielle de 1988. L’aventure s’est poursuivie puisqu’en 2000, j’étais encore son directeur de campagne et l’un des artisans de la victoire. Après, il m’a nommé ministre d’État et directeur de cabinet.  Je suis ensuite devenu son Premier ministre de 2000 à 2004. Personne n’entendait parler de Karim Wade.

Et qu’est-ce qui s’est passé ? 

Il a voulu ma place. Et le complot s’est déroulé. Ce processus de rupture s’est répété avec d’autres, y compris avec Macky Sall. Je leur disais qu’on voulait tuer le fils d’emprunt, que j’étais écarté pour faire de la place au fils biologique, mais personne ne m’a cru. Cette histoire, aussi dramatique qu’elle soit, n’a pas effacé l’affection que nous avons tous eu pour ce géant de la politique africaine qu’est Abdoulaye Wade.

Avez-vous une revanche à prendre ? 

Non ! Je ne raisonne pas en termes de revanche. À l’échelle privée, j’ai gagné les plus juteux contrats qu’un consultant ait pu gagner. La politique n’est qu’un effet amplificateur de mes capacités de contribution. Je n’en fais pas une fixette.

Vous avez déjà été candidat trois fois à l’élection présidentielle. Qu’est-ce qui vous fait penser que cette fois sera la bonne ?

Les circonstances me semblent favorables, mais cela ne garantit rien. En tout cas, j’ai la ferme conviction que je vais y arriver et je ferai tout pour. Et je serai satisfait du résultat, quel qu’il soit.

Cette tentative, si elle n’est pas couronnée de succès, est-elle la dernière ? 

Non, la Constitution dit que je peux être candidat jusqu’à l’âge de 75 ans. Je suis présent depuis très longtemps sur la scène politique parce que j’ai commencé très tôt. Mais je n’ai pas l’âge de mes compagnons politiques. Il y a 30 ans d’écart entre Abdoulaye Wade et moi.

La politique ne vous fatigue-t-elle pas ?

Non, rien de ce que je fais ne me fatigue. Je fais tout avec joie et rien sous la contrainte.

Jeune Afrique

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