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LINDEPENDANTSN- L’origine burkinabé, Joëlle Traoré, chercheuse en fiscalité internationale et consultante en fiscalité internationale, a soutenu son doctorat dont le thème porte sur “les pays de l’Uemoa à l’épreuve de la nouvelle gouvernance fiscale internationale”. La chercheuse en fiscalité internationale, qui tient à ce que sa thèse serve son continent, reste convaincue que le sujet peut contribuer à son développement.Dans cet article, elle se penche sur la nouvelle gouvernance fiscale internationale et ses défis que sont, entre autres, une répartition plus équitable des recettes fiscales à l’échelle mondiale, la réduction des inégalités fiscales entre les pays, l’adaptation du système fiscal aux nouvelles réalités économiques, notamment la numérisation de l’économie. Dre Traoré, qui a fait tout son cycle universitaire en France, est titulaire d’une licence en droit, d’un master en fiscalité et d’un doctorat en droit à Paris.
Joëlle Traoré, qui a accédé au rang de Docteure en Droit public, a soutenu sa thèse le 8 novembre dernier sur le thème : “les pays de l’Uemoa à l’épreuve de la nouvelle gouvernance fiscale internationale”, à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, l’une des universités les plus réputées de France, notamment en droit. Dre Traoré est largement revenue, dans cet article, sur ce qui l’a motivée à travailler sur cette question : “ce n’est pas du tout un choix aléatoire. Déjà l’Uemoa, en tant qu’organisation sous-régionale, regroupant huit pays de l’Afrique occidentale, est l’un des modèles les plus réussis en matière d’intégration économique y compris en matière d’harmonisation fiscale.
C’est l’une des raisons pour lesquelles je m’y suis penchée parce que cette zone économique et monétaire mérite vraiment l’attention des chercheurs et des doctrinales. Par ailleurs, la plupart des études sur l’Uemoa, quand on regarde les ressources qui existent, elles portent généralement sur l’harmonisation fiscale ou bien sur le système financier et monétaire de l’Uemoa. Etant donné que les pays de l’Uemoa se sont lancés dans la réforme de la fiscalité internationale, j’ai voulu aiguiser ma curiosité sur ce sujet d’autant plus que c’est une première sur l’espace régional, il y avait très peu de ressources pour pouvoir mener ces recherches. Je me suis dit que ma thèse, justement, servira de lanterne pour frayer le chemin pour d’autres recherches sur cette thématique”, a-t-elle expliqué ». Ainsi, poursuit-elle, « c’est à la suite de mes recherches approfondies où je n’avais pas trouvé d’études spécifiques qui traitaient à la fois de l’Uemoa et de la fiscalité internationale que j’ai souhaité me lancer sur cette thématique ». “Vouloir combler ce vide et apporter ma pierre à la bâtisse sont des raisons qui ont fait germer en moi l’idée d’entreprendre une thèse sur les pays de l’Uemoa à l’épreuve de la nouvelle gouvernance fiscale internationale. Déjà, je suis une passionnée des questions fiscales et également de mon continent, et cela faisait le lien d’autant plus que le sujet est d’actualité en matière des nouvelles normes et réformes fiscales internationales”.
L’autre aspect qui a motivé ce choix de sujet, rappelle Dr Joëlle Traoré, “c’était de trouver des mécanismes visant à prendre en compte toutes les réalités des pays africains dans l’élaboration des normes de la fiscalité internationale, puisque ce sont des normes qui sont élaborées dans les pays du Nord, à savoir les pays développés, je voulais réfléchir à comment on peut davantage adapter ces normes internationales qui ont vocation in fine à s’appliquer aux pays du monde entier, aux pays en développement, y compris les pays africains et plus particulièrement ceux de l’espace Uemoa. En d’autres termes, l’une des problématiques sur laquelle s’est penchée ma thèse était de voir comment peut-on établir des normes qui vont tenir compte des réalités, des spécificités des pays africains y compris, bien évidemment, les pays de l’Uemoa”.
L’expression “Nouvelle gouvernance fiscale internationale » ne renvoie pas à une ancienne gouvernance fiscale internationale”
Dre Traoré dira que pour comprendre ce dont parle la nouvelle gouvernance fiscale internationale, il faut déjà décortiquer ce terme. “De façon synthétique, si on parle du concept de « nouvelle gouvernance fiscale » cela laisse entendre qu’il y a eu une ancienne gouvernance fiscale internationale et donc certains pourraient dire “pourquoi parler de nouvelle gouvernance fiscale internationale?” Oui, c’est vrai qu’il y a certains auteurs qui emploient le terme “gouvernance fiscale internationale” ou bien “gouvernance fiscale mondiale” sans rajouter le qualificatif “nouvelle”. En somme, la gouvernance fiscale tout court, si on n’adjoint pas le terme “nouveau” à cela, c’est la manière dont les règles fiscales sont décidées et appliquées de manière générale. Donc, en d’autres termes, la gouvernance fiscale se rapporte aux pratiques fonctionnelles d’un système fiscal donné. C’est le processus de la création de l’impôt, de l’application des règles fiscales qui est visé lorsqu’on parle de gouvernance fiscale tout court. Donc, ce n’est pas uniquement se réduire à l’étude de la législation fiscale d’un État, mais cela va bien au-delà de l’analyse des règles juridiques et cela examine également les aspects sociologiques”, a-t-elle argumenté avant de poursuivre : “qu’est-ce qui amène tous ceux qui sont en train d’élaborer ces normes, à le faire ? Quelles sont les raisons et apports sociologiques ? Il y a donc une dimension sociologique dans la gouvernance fiscale internationale. Lorsque la gouvernance fiscale est envisagée dans un contexte international et non national, elle devient donc logiquement gouvernance fiscale internationale. En somme, la nouvelle gouvernance fiscale, au sens de ma thèse, renvoie à la prise en compte de l’élaboration des règles fiscales internationales, de nouvelles problématiques fiscales internationales”.
Dre Traoré précise, dans la foulée, que le terme “nouveau” ne veut pas dire qu’il y avait une ancienne gouvernance fiscale internationale, mais cela revient à dire que la gouvernance fiscale internationale en cours s’attaque à de nouveaux fléaux, défis et problématiques de la fiscalité internationale et dans l’élaboration des règles. “C’est en ce sens que le mot “nouvelle” intervient dans mon sujet de thèse. Donc, nouvelle gouvernance fiscale internationale ne renvoie pas à une ancienne gouvernance fiscale internationale mais cela renvoie à une adaptation à une gouvernance fiscale internationale qui existait, aux nouvelles problématiques, aux nouveaux enjeux, défis et fléaux que rencontre la fiscalité internationale tels que la numérisation de l’économie, la répartition du droit d’imposer entre les différentes juridictions fiscales, l’institution d’un impôt minimum à l’échelle mondiale, la nécessité également d’une coopération internationale en matière fiscale pour lutter efficacement contre les flux financiers illicites globalement et plus spécifiquement la fraude, l’évasion fiscale, l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, les pratiques fiscales dommageables et l’usage abusif des conventions fiscales. C’est autant de nouvelles problématiques auxquelles s’attaque la gouvernance fiscale internationale, d’où le terme “nouvelle gouvernance fiscale internationale”. Et dès lors, le champ matériel de la nouvelle gouvernance fiscale internationale inclut les règles de la fiscalité internationale ayant été adoptées par l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique). Si j’ai ciblé cette thèse sur les normes de l’OCDE érigées en matière de fiscalité internationale sur un sujet de la nouvelle gouvernance fiscale internationale, c’est tout simplement parce que l’OCDE a acquis une certaine légitimité en la matière, en ce sens que les règles de fiscalité internationale qu’elle édicte s’attaquent aux nouvelles problématiques de la fiscalité internationale. Dès lors, l’OCDE est considérée comme un acteur majeur sur le plan mondial en matière de nouvelle gouvernance fiscale internationale en raison de la portée et de l’efficacité des normes qu’elle adopte. Ces normes bénéficient en effet d’une large adhésion des États de toutes les régions du monde. Cela justifie pourquoi cette étude s’est focalisée sur les normes adoptées par l’OCDE en grande partie”, a-t-elle expliqué.
“Lutter contre les fléaux qui minent le système fiscal international”
Selon toujours Dre Traoré, les normes de la nouvelle gouvernance fiscale internationale peuvent bien contribuer au développement des pays africains parce qu’elles aident les pays en développement en général et les pays africains plus particulièrement, y compris ceux de l’espace Uemoa, à lutter efficacement contre les fléaux de la fiscalité internationale, notamment les flux financiers illicites, en vue d’accroître la mobilisation des recettes fiscales par ces États. “Cette mobilisation efficiente des recettes fiscales est malheureusement entravée par les flux financiers illicites tels que la fraude et l’évasion fiscale”, fait-elle remarquer. Pour atténuer ces pertes de recettes fiscales, rappelle-t-elle, « ces pays n’ont pas eu d’autres choix que de se joindre aux efforts des États du monde pour lutter contre ces fléaux qui traversent les frontières ». “Il leur fallait mutualiser leurs forces à celles des autres pays pour contrer ces fléaux qui demandent une synergie d’action de tous. Les États de l’Uemoa ne pouvaient rester en marge ou isolés et prétendre lutter efficacement contre ces fléaux. Comme on le dit très souvent, c’est l’union qui fait la force et il faille contrecarrer ces fléaux tous d’un même son de cloche pour éviter que, justement, les auteurs à la base de ces fléaux trouvent des opportunités d’exploiter les faiblesses des systèmes fiscaux”, a-t-elle déclaré avant d’ajouter que “le fait de lutter ensemble, de renforcer la coopération internationale en matière de fiscalité va permettre de refermer ces brèches et de bâtir une muraille pour contrer ces fléaux”. Il faut rappeler que pour les pays africains, leur quête principale c’est le développement économique, par conséquent la nouvelle gouvernance fiscale internationale ne leur est utile que si elles favorisent une mobilisation efficiente des recettes fiscales dans leur pays ; lesquelles ressources domestiques dont ils ont besoin pour financer leur développement socio-économique. Il est donc crucial pour ces pays, y compris ceux de l’Uemoa, de mettre en œuvre ces normes de la nouvelle gouvernance fiscale internationale pour lutter contre ces flux financiers illicites.
“Le Sénégal a pu recouvrer 2,9 milliards de dollars selon un rapport de l’OCDE de 2023”
Pour étayer son argumentaire, Dre Traoré donne l’exemple du Sénégal qui, selon le rapport de l’initiative Afrique de 2023 de l’OCDE, et grâce à la mise en œuvre de la convention d’assistance administrative mutuelle, a pu recouvrer près de 2,9 milliards de dollars grâce à la coopération d’un pays participant à cette convention. “Donc, c’est dire l’importance de mettre en œuvre ces normes, notamment pour les pays africains, y compris les pays de l’Uemoa”, a-t-elle indiqué. En ce sens, trouve-t-elle, cette thèse peut contribuer au développement, “puisqu’elle permet d’éclairer davantage les décideurs politiques sur l’importance de mettre en œuvre ces normes et sur l’impact positif que cela peut avoir pour les pays en développement. Dre Traoré relève également les obstacles à une bonne mise en œuvre de ces normes et propose des solutions pour que ces obstacles soient levés et que la mise en œuvre soit plus efficace, plus efficiente pour que le gain espéré puisse être réel et que ces pays puissent recouvrer les recettes fiscales espérées. Il faudrait donc que les obstacles qui limitent ou qui ralentissent la bonne mise en œuvre de ces normes sur le continent africain, y compris l’espace Uemoa, puissent être levés. C’est tout l’intérêt de la thèse de Dre Traoré qui met des problématiques sur la table et apporte également des solutions en analysant les enjeux pour ces pays de la mise en œuvre des normes de la nouvelle gouvernance fiscale internationale. Cela peut être une feuille de route pour les décideurs politiques et pour les acteurs du développement économique de nos pays”.
“Les pays africains y compris ceux de l’Uemoa sont les plus touchés par les flux financiers illicites”
Dre Joëlle Traoré a, toutefois, invité les États africains et ceux de l’Uemoa en particulier à persévérer dans leurs efforts de mise en œuvre de la nouvelle gouvernance fiscale internationale. “L’Uemoa, c’est l’espace d’étude de ma thèse, mais elle permet également à tous les pays africains de s’en inspirer parce que les réflexions qui y sont menées s’appliquent bien au contexte africain. Les États membres de l’Uemoa n’ont pas attendu que l’Uemoa s’engage dans la mise en œuvre de la nouvelle gouvernance fiscale internationale pour y aller. Ils se sont rapidement mis dans le bain et ils ont fait preuve d’une réelle volonté politique sans attendre que l’Uemoa ne les parraine dans cette mise en œuvre et face à ce nouveau courant de la fiscalité internationale. “Les États membres de l’Uemoa ont fait preuve de proactivité et y sont allés d’eux-mêmes. Ils ont tous fourni des efforts et je ne peux qu’encourager ces efforts puisqu’ils permettent une mobilisation efficace des recettes fiscales en intensifiant la lutte contre les flux financiers illicites”, a-t-elle expliqué. Cependant, elle ne manquera pas de formuler des recommandations à l’endroit de ces États mais également à l’endroit de l’Uemoa en tant qu’organisation communautaire. A l’en croire, il faudrait que les organes de l’Uemoa s’impliquent davantage, notamment en ce qui concerne la mise à jour de ses normes d’harmonisation fiscale existantes et en adoptant de nouvelles normes communautaires prenant en compte les exigences et enjeux de la nouvelle gouvernance fiscale internationale : “cela permettra aux normes de la nouvelle gouvernance fiscale internationale de s’implémenter plus facilement et de se diffuser plus facilement au niveau des États”, a-t-elle indiqué, rappelant également que l’Uemoa devra ériger la nouvelle gouvernance au rang de ses priorités, ce qui n’est pas pour l’heure le cas selon Dre Joëlle Traoré. Elle a également ajouté qu’elle “aimerait bien que la participation des pays en développement, y compris ceux de l’Uemoa, dans l’élaboration des règles de la fiscalité internationale, soit renforcée afin que leurs réalités et leurs spécificités soient mieux prises en compte”. Dre Traoré estime que ces pays ont fourni des efforts, mais que la marche est encore longue. “Il faut encore aller plus loin. Les États de l’Uemoa ne sont pas tous au même niveau de mise en œuvre des normes clés de la nouvelle gouvernance fiscale internationale. Certains sont en retard, d’autres ont appliqué certaines normes sans les ratifier, et d’autres appliquent déjà pleinement certaines normes. Même s’il y a encore du chemin à parcourir, les efforts fournis jusqu’ici sont à saluer”, fait-elle savoir. Dre Traoré ajoute : “les États ont des efforts à fournir. L’Uemoa, en tant qu’institution supranationale, a également des efforts à faire. Par ailleurs, même s’il s’observe de plus en plus, une meilleure prise en compte par les acteurs internationaux de la nouvelle gouvernance fiscale internationale des réalités des pays en développement, y compris ceux des pays africains, cela mérite d’être renforcé pour une meilleure équité de la fiscalité internationale et une meilleure redistribution des recettes fiscales dans le monde. Ceci, notamment en faveur des pays en développement, y compris ceux de l’Uemoa puisqu’ils sont les plus touchés par les flux financiers illicites”, a-t-elle dit.