Read Time:3 Minute, 58 Second
LINDEPENDANT.SN-La décision des autorités d’interdire la manifestation prévue ce 31 décembre pour dénoncer la culture du viol et et exiger l’application du Protocole de Maputo n’est pas du goût de Fatou Warkha Sambe. Pour la féministe, « un sit-in tatounen » n’aurait pas été une première au Sénégal. Cette dernière appelle à construire une société où chaque corps devient un symbole de liberté et de justice ».
« Depuis longtemps, la nudité a été un moyen utilisé par les femmes pour exprimer une résistance face à l’oppression et pour réclamer justice. Ce geste, loin d’être une simple provocation, porte un poids symbolique immense : celui de réaffirmer que les corps des femmes sont des espaces de dignité et de lutte », a indiqué la féministe Fatou Warkha Sambe qui regrette la décision du préfet d’interdire la manifestation des femmes contre la culture du viol qui était prevue ce mardi.
Cette dernière rappelle que le 16 décembre dernier, un visuel a circulé sur les réseaux sociaux, annonçant un « Sit-in/Freedom Day » avec pour dress code : « Nue/Tatounen ». Mais, fait-elle savoir, ce visuel portait aussi des messages forts comme « contre la culture du viol » et « pour l’application du Protocole de Maputo ». Cette dernière de regretter le fait que, ce qui a capté l’attention, c’est la mention « Nue/Tatounen », « transformant ce qui devait être une mobilisation contre les violences en une polémique sur la nudité ».
Bien qu’elle ne fasse pas partie des initiatrices de cette manifestation inédite, Fatou Warkha Sambe souhaite partager sa position pour revenir sur une période qui a mis en lumière des dynamiques sociales complexes. « Pourquoi la société réagit-elle avec une telle indignation face à une forme de protestation, tout en restant largement indifférente aux violences qu’elle prétend dénoncer ? », s’est-elle demandée.
Pour comprendre l’impact qu’aurait eu un tel acte, elle soutient qu’il faut se replonger dans l’histoire sénégalaise. « En Casamance, pendant le conflit armé, les femmes Jola ont utilisé leur nudité pour exprimer leur colère face à l’injustice. Ce geste, profondément enraciné dans leurs croyances spirituelles, était une malédiction symbolique, un cri de révolte dirigé contre leurs oppresseurs. Dans les années 1940, des femmes Sérères de Joal ont défié l’ordre colonial en se dénudant pour protester contre des taxes injustes sur le mil. Leur acte, audacieux et courageux, proclamait leur refus de se soumettre à l’exploitation. Plus récemment, en 2001, les femmes mandingues se sont levées contre des compagnies minières polluant leurs terres », a-t-elle argumenté non sans préciser que leur nudité, dans ce contexte, était une manière de rappeler que leurs droits fondamentaux étaient violés. « Ces luttes ne sont pas isolées. En Côte d’Ivoire, en 1949, des femmes se sont dénudées pour exiger la libération de leurs proches emprisonnés. En 1992, au Kenya, des mères de prisonniers politiques ont fait de même pour contraindre les autorités à écouter leurs revendications. Ces récits montrent que, dans de nombreuses cultures africaines, le corps féminin est un symbole de pouvoir et de justice », a-t-elle rappelé pour étayer son argumentaire.
La féministe reste convaincue que l’organisation de ce sit-in tatounen au Sénégal aurait été dans cette continuité. « Il aurait rappelé les luttes passées tout en attirant l’attention sur l’urgence d’agir contre les violences faites aux femmes », a-t-elle souligné. « Mais la réaction face à ce projet révèle une hypocrisie persistante », a-t-elle dénoncé avant de se demander: « pourquoi sommes-nous plus indignés par une forme de protestation que par les injustices qu’elle dénonce ? ».
« Certaines critiques ont tenté de discréditer cette initiative en la qualifiant d’ »importée » ou « étrangère ». Pourtant, ces accusations ignorent les racines profondément africaines de ce geste. La nudité comme forme de protestation est un outil de résistance utilisé depuis des générations pour défier les structures d’oppression et exiger des changements.
Un sit-in tatounen aurait aussi permis de rappeler une vérité essentielle : les corps des femmes ne sont pas des objets à contrôler ou à juger, mais des espaces de dignité et de pouvoir. Ce geste aurait mis en lumière les hypocrisies d’une société qui ferme les yeux sur les violences systémiques tout en condamnant les moyens pacifiques pour les dénoncer », a-t-elle répondu à ceux qui s’opposent à cette initiative.
« Bien que ce sit-in n’aura pas eu lieu, il soulève des questions fondamentales sur nos priorités collectives. Pourquoi tant de débats sur la nudité et si peu d’efforts pour lutter contre les violences faites aux femmes ? », a-t-elle fait savoir insistant sur unfait: « il est temps de déplacer notre indignation vers ce qui compte réellement : construire une société où chaque femme peut vivre librement et en sécurité, où chaque corps devient un symbole de liberté et de justice », a-t-elle conclu.
Mariama Kobar Saleh