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LINDEPENDANT.SN-Afrikajom Center et le Rule of Law Impact Lab de l’Université de Stanford ont publié le rapport intitulé « La loi d’amnistie au Sénégal : un déni de justice » qui fournit une analyse juridique complète de la loi à la lumière des obligations internationales du Sénégal.
Ce rapport revient notamment sur la violation par le Sénégal du droit des victimes à un recours effectif et à obtenir réparation, ainsi que sur la problématique posée par une amnistie générale et inconditionnelle. Le document précise également que cette loi ne permet pas de panser les blessures profondes causées par les graves violations des droits humains commises entre 2021 et 2024.
AfrikaJom et le Rule of Law Impact Lab de l’Université de Stanford ont publié, ce mercredi 15 janvier, un rapport détaillé montrant comment la loi d’amnistie sénégalaise de 2024 viole les obligations du pays en vertu du droit international. Le rapport, intitulé « La loi d’amnistie au Sénégal : Un déni de justice », étudie les traités ratifiés par le Sénégal et la jurisprudence pertinente des organismes de défense des droits de l’homme, notamment celle de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, à laquelle le Sénégal est tenu de se conformer. Selon une note de la Stanford Law School, ce rapport conclut que la loi empêche les victimes d’accéder à la justice. Elle viole l’obligation du Sénégal d’enquêter et de poursuivre les personnes susceptibles d’être pénalement responsables de violations flagrantes des droits de l’homme. En offrant une immunité inconditionnelle aux auteurs de violations des droits de l’homme sans qu’ils aient à satisfaire à aucune condition préalable, la loi consacre l’impunité, selon les auteurs du rapport.
« La loi d’amnistie a permis aux élections présidentielles de 2024 de se dérouler pacifiquement alors que le pays était sur le point de sombrer dans le chaos. Mais cette loi ne permet pas de panser les blessures profondes causées par les graves violations des droits humains commises entre 2021 et 2024. Il est temps de veiller à ce que les victimes de ces violations aient enfin accès à la justice qu’elles réclament légitimement », a fait savoir Alioune Tine, fondateur du Centre Afrikajom qui précise que « l’immunité inconditionnelle pour tous normalise le poison de l’impunité au Sénégal ». « Notre rapport prouve que cette loi d’amnistie est non seulement illégale, mais qu’elle finira par miner la démocratie sénégalaise si elle est maintenue dans sa forme actuelle », a ajouté M. Tine.
En mars 2024, l’Assemblée nationale a adopté une loi d’amnistie pour les actes criminels liés à des manifestations politiques ou ayant des motivations politiques qui ont été commis entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024. La loi amnistie couvre les manifestants et les dirigeants politiques de l’opposition qui ont été détenus pendant cette période, ainsi que les agents de l’État qui ont commis de graves violations des droits de l’homme, notamment des actes de torture et des meurtres.
« La loi a permis l’organisation des élections présidentielles de 2024 et le transfert du pouvoir au président Bassirou Diomaye Faye, qui avait été libéré de détention conformément à la loi d’amnistie. Il a rapidement nommé premier ministre le chef de l’opposition Ousmane Sonko, également libéré en vertu de la loi d’amnistie », renseigne le rapport.
Lors de la cérémonie de présentation du document, Amrit Singh, professeur de droit et directeur exécutif du Rule of Impact Lab de la Stanford Law School dira: « contrairement à de nombreux pays qui ont récemment été la proie d’autocrates, le Sénégal l’a échappé belle l’année dernière ». « La loi d’amnistie reste cependant une tache sur la réputation du Sénégal en tant que phare de la démocratie et des droits de l’homme dans la région. Les dirigeants sénégalais doivent reconnaître que cette loi viole les obligations juridiques internationales du Sénégal. Ils doivent agir rapidement pour rendre justice aux victimes de violations des droits de l’homme et tenir les auteurs pénalement responsables », a-t-il ajouté.
Selon les organisations internationales de défense des droits de l’homme, plus de 40 manifestants ont été tués et près d’un millier de personnes ont été détenues arbitrairement, maltraitées et parfois torturées au cours de la période concernée. De nombreux membres de la société civile sénégalaise avertissent aujourd’hui que le maintien de la loi d’amnistie ouvre la voie à l’impunité pour les auteurs de graves violations des droits de l’homme.
Grâce aux résultants des élections législatives de novembre 2024, le président de la République et le Premier ministre du Sénégal bénéficient maintenant de la majorité parlementaire requise pour annuler la loi d’amnistie. Dans un discours prononcé devant l’Assemblée nationale le 27 décembre 2024, le Premier ministre Ousmane Sonko a déclaré que son gouvernement présenterait un projet de loi visant à abroger la loi.
Le rapport propose trois recommandations clés pour que le Sénégal tourne la page de la loi d’amnistie, notamment la garantie de recours pour les victimes de violations des droits de l’homme liées aux manifestations politiques, le droit des victimes et de la société à la vérité, et des poursuites pénales efficaces contre les auteurs de ces violations.
Mariama Kobar Saleh